Le général Eblé … Ce sauveur de la Grande Armée !

Le général Eblé … Ce sauveur de la Grande Armée !

 

On a dit de Jean-Baptiste Eblé qu’il avait sauvé de l’anéantissement complet les restes de la Grande Armée ; né le 21 décembre 1758, il était le fils d’un simple sergent d’artillerie. Aussi ne dut-il qu’à sa loyauté et à sa bravoure d’être élevé jusqu’aux plus hautes dignités. La vie de cet homme courageux mérite d’être citée en exemple.

 

(Extrait Napoléon 1er – Revue du Souvenir Napoleonien N°94 )

A l’âge de neuf ans, Jean-Baptiste Eblé entra dans l’armée et allait connaître, grâce à la Révolution, un avancement extraordinairement rapide. Envoyé en mission à Naples, de 1787 à 1792, il s’en revint pour passer aussitôt capitaine, puis, un an plus tard, fut nommé chef de bataillon. Le 29 septembre 1793, il devint général de brigade et, le 25 octobre de la même année, général de division !

Dès lors, il va faire toutes les campagnes de la Révolution. Lorsque le 25 octobre 1793, le général Bouchotte, ministre de la Guerre, lui a écrit pour lui annoncer sa nouvelle promotion, il lui a, en même temps, fixé son affectation : le Conseil exécutif provisoire l’a nommé Commandant en chef de l’Artillerie de l’Armée du Nord, en remplacement du général Mérenvue et sous le commandement direct de Jourdan. Eblé ne perd pas de temps à gagner son nouveau poste : dès le 27 octobre, il est à Maubeuge où il commence immédiatement à exercer sa nouvelle fonction. Il a d’abord l’heureuse surprise de constater que son prédécesseur lui a laissé un stock important de munitions. Cependant, comme l’Armée du Nord en fait une grosse consommation, il fait immédiatement établir un atelier pour la fabrication des cartouches. Il ne s’agit pas, en effet, de flâner : les Représentants du peuple sont partout et disposent de pouvoirs très étendus. Ces commissaires politiques contrôlent tout et sont seuls à même de juger si tel officier fait suffisamment preuve de sentiments républicains. Si le moindre doute pénètre dans leur esprit, l’échafaud est là pour apprendre au coupable que la République est trop en danger pour se permettre le luxe de faire grâce. Combien d’officiers finiront de la sorte, quelquefois sur la simple dénonciation  d’un soldat mécontent ?!

Eblé, qui tient évidemment à garder sa tête sur ses épaules, se fait très humble : le 28 octobre, il écrit à Bouchotte la lettre suivante :

« Citoyen Ministre,

Vous m’avez fait général de brigade (sic). Cette nomination m’a fait du chagrin, parce que je ne me crois (resic) pas fait pour un emploi qui exige d’aussi grandes connaissances et que je n’ai d’autre ambition que celle d’être utile à ma patrie et de voir triompher la cause pour laquelle la France est armée. J’aurais refusé si j’eusse cru pouvoir le faire sans ingratitude. Je sacrifierai tout pour fortifier l’opinion que vous paraissez avoir de mon patriotisme. Par ailleurs, je n’ai point d’aide de camp : daignez, Citoyen Ministre, en nommer un qui veuille servir avec moi. Je le regarderai comme un présent précieux que vous m’aurez fait. »

Etrange chef-d’œuvre de platitude (Eblé va jusqu’à se faire descendre d’un grade pour mieux implorer), cette lettre est très significative de l’état d’esprit qui régnait alors dans les armées de la République.
Quelques jours plus tard, le « présent précieux » arriva avec une lettre du ministre. D’où une nouvelle profession de foi le 2 novembre :

« … Je n’ai d’autre désir que de voir la patrie sauvée … Dans quel grade que je puisse être, je me trouverai toujours heureux si je puis être utile, etc. »

Il y a cependant mieux : Eblé s’aplatit davantage encore le 7 novembre 1793, dans une lettre qu’il adresse directement au Représentant du peuple auprès de l’Armée du Nord :

« Citoyen Représentant,

Je vois avec chagrin que l’éloignement où les canonniers sont du dépôt de leur régiment ne leur a pas permis de faire disparaître un dernier reste de la Royauté : sur la plupart de leurs habits, on voit encore des boutons à couronnes et à fleurs de lys. Je vous prie en conséquence, Citoyen Représentant, d’autoriser les officiers commandant cette compagnie à faire l’achat de boutons de la République.
Salut et fraternité »

Assuré de ne pas finir sottement ses jours sur l’échafaud, Eblé peut enfin se livrer à des occupations plus sérieuses que la rédaction de platitudes pour ces messieurs du Comité de Salut Public. En effet, la jeune République manquait d’ordre et d’organisation, et c’était un jeu pour d’habiles escrocs, d’exploiter ce désordre à leur profit. Eblé allait lutter  contre ce désordre.

Bientôt, il commença à être craint et lui-même se plaisait à le constater dans un langage quelque peu vulgaire mais somme toute, expressif :

« Les muscadins ne viennent pas flairer ma sale culotte de peau, la seule que j’aie d’ailleurs, et l’odeur civique que j’aime à respirer autour de moi doit naturellement les éloigner. »

Pendant l’hiver 1793, et au début de 1794, l’Armée du Nord fut en proie à de grandes difficultés – d’argent surtout, car Paris n’était pas très riche et les assignats se dépréciaient à une vitesse effrayante. On était obligé de vivre sur l’habitant.

Eblé allait de réquisition en réquisition, seul moyen pour lui d’avoir ce dont il avait besoin. Il invitait les particuliers à lui livrer leurs vieilles marmites ou leurs plaques de cheminée qui, jointes à des enclumes ou à du plomb « récupéré » dans les couvents, lui permettaient de fabriquer balles et canons. Pas question pour la Convention, submergée par les demandes qui lui viennent de partout, de lui envoyer, comme il le réclamait (avec déférence toutefois), des armes, de l’argent ou des munitions. L’année 1794 représenterait un assez mauvais moment à passer. Eblé allait bénéficier de la protection de Pichegru, qui avait succédé à Jourdan à la tête de l’Armée du Nord, jusqu’au 4 juin 1796, date à laquelle il serait affecté à l’Armée du Rhin-et-Moselle, toujours avec la fonction de commandant en chef de l’artillerie. Ce fut avec cette armée qu’il participa, à la fin de 1796, à la défense de Kehl vivement attaquée par les Autrichiens sous le commandement de l’archiduc Charles, le deuxième stratège de génie de cette époque après Bonaparte. Du côté français, c’était Moreau qui était à la tête de l’Armée de Rhin-et-Moselle, avec, comme chef d’état-major, le général Reynier. L’armée française s’était emparée de Kehl dans la nuit du 5 au 6 Messidor An IV (23-24 juin 1796) et avait poursuivi son avance en Souabe et en Bavière, tandis qu’on relevait les fortifications qu’il avait fallu abattre pour s’emparer de la place. La tactique de l’archiduc Charles fut dès lors très simple. Il s’agissait pour lui de reprendre Kehl, de manière à couper l’Armée de Sambre-et-Meuse de celle de Rhin-et-Moselle : de cette façon, les troupes qui s’étaient avancées en Allemagne seraient obligées de revenir en arrière.

Les Français fortifièrent de nouveau Kehl et le commandement en fut confié à Desaix. Eblé joua un rôle important dans ces travaux et contribua à faire de la place, construite par Vauban, une forteresse redoutable. Il veilla également à l’approvisionnement en armes et en munitions.

Le 2 Frimaire An V (22 novembre 1796), l’archiduc Charles vint mettre le siège devant Kehl. Des combats meurtriers allaient avoir lieu pendant tout le mois de décembre, car, des deux côtés, on considérait la possession de Kehl comme indispensable. Le Directoire l’avait bien compris et demanda à Moreau de conserver à tout prix cette place. Mais ce que les Directeurs, pas plus d’ailleurs que le ministre de la Guerre, Petiet, avaient moins bien compris, c’est que pour défendre une place, il fallait beaucoup d’hommes. Or, en même temps, ils demandèrent à Moreau de prélever 30.000 fantassins et 1.500 cavaliers de son armée pour celle d’Italie, qui, à vrai dire, était plus payante ! …

Bérangère Bienfait

 

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