Le théâtre des variétés

Le 24 juin 1807, pour la première fois, les Parisiens franchissaient le seuil d’un nouveau théâtre, construit en cinq mois entre Paris et Montmartre. Sur le linteau du portique on pouvait lire comme aujourd’hui « Théâtre des Variétés » gravé dans la pierre. Ce théâtre charmant qui devait avoir tant et tant de soirées de gloire était l’œuvre d’une femme : Marguerite Brunet, La Montansier.

L’histoire de cette petite personne énergique, point belle mais pétrie de charmes, douée d’un sens extrême des affaires, véritable chef d’entreprise, couvre presque un siècle entier, puisque, née en 1730 à Bayonne, elle ne devait s’éteindre que le 13 juillet 1820, après avoir connu tant d’aventures, qu’elle semble être la sœur d’Ambre ou de Caroline Chérie… Une vie de roman, fourmillante d’amours et d’intrigues, comme les milliers de spectacles qui devaient être joués sur la scène de son théâtre. A quatorze ans la jeune Marguerite s’enfuit de la maison des Ursulines de Bordeaux où elle était en pension pour s’engager dans une troupe de comédiens et suivre en Amérique un beau et jeune acteur qui l’avait séduite. Quelques années plus tard elle devient la maîtresse de Burson, Intendant de la Martinique qui l’établit marchande de mode à Saint-Domingue ; mais bientôt, lassée d’exotisme, Paris la découvre accompagnée dans les rues de deux jeunes domestiques noirs.

Elle s’installe d’abord chez Mme Montansier, une tante par alliance marchande de mode et lui emprunte son nom qu’elle fera parfois précéder de la particule. Un peu plus tard, elle ira loger rue Saint-Honoré, ouvrira un salon de jeux fréquenté par la jeunesse dorée et désoeuvrée dont elle tirera galamment quelques subsides et donnera des soupers élégants qui marqueront véritablement son entrée dans la haute société. Officiellement, la Montansier, à l’époque, est comédienne, mais son accent méridional limite son emploi et son succès n’est pas grand, même dans le rôle de la fausse gasconne de Monsieur de Pourceaugnac. En fait, on ne sait pas grand chose de la carrière de comédienne de la Montansier qui devait devenir illustre « dans le théâtre » mais non « au théâtre ». Les années passent dans le tourbillon des fêtes brillantes et des plaisirs galants de ce temps de Louis XV. La Montansier prépare son avenir et fourbit ses armes.

Elle a trente-huit ans, lorsqu’elle obtient de son riche et puissant ami M. de Saint-Conty la direction du petit théâtre de la rue Satory à Versailles. Pour la Montansier, c’est une révélation : diriger une troupe d’acteurs, choisir le répertoire, organiser les spectacles lui procurent d’intenses satisfactions. Elle découvre sa véritable vocation et obtient tout de suite le plus vif succès. Toute la Cour se presse rue Satory qui n’est qu’à quelques tours de roues de carrosse du Palais de Louis XV. Invitée à la Cour, elle ne la quittera guère. La future reine Marie-Antoinette la reçoit dans sa chambre, les heures de la gloire vont bientôt sonner.

Encouragée par son succès et fortement appuyée par ses importantes relations, la Montansier décide d’élever un nouveau théâtre, rue des Réservoirs, sur un terrain acquis à bon compte par Saint-Conty ; mais le cher homme meurt peu de temps après et la Montansier devient la seule propriétaire. Versailles brillait alors de tous ses feux. C’était encore le temps de la brioche et Marie-Antoinette adorait les fêtes. Elle aimait aussi l’esprit de la Montansier toujours prête à organiser un bal, un concert, un souper et sachant mieux que nulle autre improviser un divertissement.

En 1775, elle a quarante-cinq ans, elle obtient du roi un immense privilège exclusif, celui d’organiser tous les bals et les spectacles de Versailles, mais, deux ans plus tard, le 19 mai 1777, elle obtenait un privilège bien plus exorbitant encore : le roi lui accordait pour vingt ans la régie et la direction des théâtres de Versailles, Fontainebleau, Saint-Cloud, Marly, Compiègne, Rouen, Caen, Orléans, Nantes et Le Havre.

Infatigable, intrépide, ambitieuse, la Montansier n’avait pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin. Ne pouvant répondre seule à une tâche aussi considérable, elle forme une société avec son amant de l’heure, le comédien Honoré Bourdon, dit De Neuville, dont elle était fort éprise et qu’elle finira par épouser. Il était beau et bien bâti, fort comme un turc et infidèle comme un coq. La Montansier se montrait jalouse, et, malgré la cinquantaine, bien frivole.

En 1784, exaltée par ses succès et bien décidée à faire la plus éblouissante des carrières, la Montansier adresse au roi un mémoire incroyablement ambitieux, pour réclamer le privilège de tous les théâtres du royaume. Cette proposition insensée cachait bien sûr de puissants intérêts et la Montansier devait servir de prête-nom à de riches commanditaires qui voyaient là d’inépuisables sources de revenus, mais la demande fut refusée. La directrice des plaisirs de la Cour ne s’avoua pas vaincue, elle avait décidé de conquérir Paris, elle allait le faire.

Le 14 avril 1788, la Montansier achète le Théâtre des Beaujolais, au Palais-Royal. Cette petite salle avait été construite en 1783 par le Duc d’Orléans et offrait des spectacles de marionnettes pour distraire le Comte de Beaujolais, fils cadet de Philippe Egalité et jeune frère du futur Louis-Philippe. L’architecte Victor Louis transforma la salle en un confortable théâtre et l’inauguration a lieu le 12 avril 1790 avec « Les Epoux Mécontents », opéra en quatre actes de Dubuisson sur une musique de Storace. Le nouveau théâtre prit le nom de « Montansier ». Six mois plus tard, le roi et la Cour venaient s’installer à Paris, aux Tuilerie

1789: le Théâtre aux armées

La révolution allait-elle ruiner définitivement les projets grandioses de la protégée de Marie-Antoinette qui obtenait du roi de fastueux privilèges ? C’est sans doute ce que beaucoup crurent alors, se réjouissant déjà des malheurs de l’entreprenante Montansier.

En acquérant dès 1788 la salle du péristyle de Joinville dans la galerie du Palais-Royal, ne prenait-elle pas déjà une certaine distance envers la Cour ? Elle savait que l’avenir ne serait plus jamais à Versailles, elle devait se tenir sur ses gardes et viser juste.

La Montansier avait tout à gagner de la présence de la famille royale et de la Cour aux Tuileries. Elle conservait pour huit ans encore le privilège de l’organisation des spectacles de la Cour. La Révolution ayant fixé la résidence du roi à Paris, la Montansier avait parfaitement le droit d’y exercer son privilège et ne s’en priva pas.

Dans sa nouvelle salle du Palais-Royal elle obtint aussitôt un très vif succès en faisant jouer des opéras italiens traduits en français, ce qui ne tarda pas à susciter les pires jalousies. On allait alors beaucoup plus volontiers chez la Montansier qu’au Théâtre de l’Opéra, si mal situé à la Porte Saint-Martin.

Les libelles les plus infâmants circulèrent, anonymes, contre la « Ribaude du Palais-Royal » qui laissa dire…et ne voulut point réagir. Elle se vit roulée dans la boue en compagnie du fidèle De Neuville et de l’infortunée Marie-Antoinette. On l’accusait d’être la pourvoyeuse de tous les vices de la Cour et de la Ville et d’être à la fois Lesbos, Sodome et Gomorrhe. Pourtant, si la Montansier avait beaucoup d’ennemis jaloux, elle avait surtout beaucoup de très loyaux amis et loin de baisser le front sous les menaces et les injures, elle se dressa pour attaquer et exigea, en vertu de son privilège royal, une redevance de tous les théâtres de Paris, qu’elle obtint. En 1790, elle s’était installée à quelques pas de son théâtre, arcade 82 du Palais-Royal et les fenêtres de sa chambre, exposées au midi, donnaient sur les jardins. Son appartement, largement ouvert à tous, devint un salon littéraire fort à la mode où se pressaient compositeurs, auteurs dramatiques, poètes, artistes et journalistes, au milieu des femmes les plus en vue et des plus jolies actrices de la capitale.

Pendant la fermeture du théâtre, aux fêtes de Pâques de 1791, l’architecte Louis réussit à doubler la longueur et la largeur de la salle du petit théâtre devenu trop exigu pour la foule qui s’y pressait sans cesse. Mais en ces périodes plus que troublées, il n’était pas de très bon ton de réussir dans les affaires et d’être en vue. Les calomnies allaient bon train et, après le manifeste de Brunswick et le 10 août, la Montansier eut quelques ennuis. On l’accusait de recéler des armes dans son théâtre, de conspirer avec les Anglais et d’être à la disposition des traîtres de la Révolution. Comme toujours, au lieu de se dérober, la Montansier fit front.

Accompagnée de De Neuville et de quatre-vingt-cinq artistes et employés de son théâtre, elle se présenta le 3 septembre 1792 à la barre de la Législative et demanda l’autorisation de former une compagnie franche afin d’aller défendre la Patrie en danger par la marche des Prussiens.

Le 14 septembre, la joyeuse troupe s’embarque pour le Camp de la Lune. Le pauvre De Neuville, nommé colonel, victime d’une chute de cheval, doit abandonner à Reims tandis que son intrépide maîtresse poursuit sa course à la tête de sa troupe. Le 1er novembre, la compagnie Montansier arrive à Cuesmes et le 6 du même mois assiste à la bataille de Jemmapes. La compagnie fait bravement son devoir et est même citée à l’ordre de l’Armée !

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Mais le succès devint un triomphe lorsque la Montansier, ayant fait venir en toute hâte de Paris tout un magasin de costumes, monte un théâtre dans la plaine de Jemmapes. La construction, faite par les soldats, est rondement menée, et le 12 novembre on placarde des affiches qui commencent ainsi :

La Troupe des Artistes Patriotes, sous la direction de Mlle Montansier, donnera aujourd’hui devant l’ennemi :
« La République Française », cantate
« La Danse Autrichienne », ballet
« Le désespoir de Jocrisse », pièce de M. Dorvigny
Le spectacle se terminera par un feu d’artifice.

La fête fut si réussie qu’elle dura toute la nuit. Le lendemain la troupe Montansier regagnait Paris, la campagne glorieuse avait duré six semaines. Forte de ce très beau succès patriotique qui, pour un temps, faisait taire les mauvaises langues, la Montansier décida d’aller prêcher la bonne parole en Belgique. Elle devait y rester du 2 janvier au 23 mars 1793. La troupe Montansier s’empara un peu militairement du Théâtre de la Monnaie pour y jouer non seulement son répertoire habituel, mais aussi des pièces de circonstances ultra patriotiques et fortement anti-catholiques qui furent accueillies plutôt fraîchement par les bons bourgeois de Bruxelles. La victoire du prince de Saxe-Cobourg devant Dumouriez à Neerwinden vint mettre un terme au prosélytisme de la Montansier. Elle s’enfuit prestement le 23 mars, abandonnant costumes et décors. Le 24 les Autrichiens entraient dans Bruxelles.

1793 : du Palais Royal au Boulevard Montmartre

La Montansier voulait faire à Paris une rentrée triomphale. Elle avait fait construire par son architecte préféré Victor Louis un grand et superbe théâtre, magnifiquement aménagé, comme il n’en existait aucun à Paris, où elle comptait bien pouvoir concurrencer définitivement l’Opéra de la Porte Saint-Martin. Ce théâtre était situé rue de la Loi (actuellement rue Richelieu), en face de la Bibliothèque nationale, à la place de l’actuel square Louvois.

Elle le nomma « Théâtre National » et l’inaugura le 15 août 1793, par pure bravade anti-religieuse. Le bâtiment était d’une très grande beauté et les machineries scéniques tout à fait nouvelles pour l’époque. Avec cette nouvelle salle, son théâtre du Palais-Royal et celui de Versailles, la Montansier pouvait bien se croire la reine du spectacle, malheureusement c’était la Terreur qui régnait et il valait mieux alors n’être point roi.

Trois mois après l’ouverture du Théâtre National, le 23 brumaire, le procureur Chaumette le faisait fermer et le 25, la Montansier était arrêtée. On l’accusait de complot avec les Anglais, d’avoir obtenu de ces derniers, en échange de quelques trahisons, les fonds nécessaires à la construction de son théâtre, d’avoir reçu des sommes considérables de la reine et même de vouloir mettre le feu à la Bibliothèque Nationale !

Le théâtre du Palais-Royal n’avait pas suspendu ses représentations. Il portait alors le nom de « Théâtre de la Montagne ». Le Théâtre National n’avait été fermé que quelques jours et après de multiples intrigues et aventures, était devenu Opéra National en 1794. On devait y chanter et y danser jusqu’en 1820, date de sa démolition, à la suite de l’assassinat du duc de Berry.

Si la Montansier jugée coupable, avait été guillotinée, la confiscation de son théâtre eut été légale, mais déclarée innocente, elle protesta avec la plus extrême vigueur contre l’arrêté de la Convention et ne cessa de protester pendant les vingt-six ans qui lui restaient à vivre. Elle réclama sept millions d’indemnité. « Pour ce prix-là, on aurait une escadre ! » s’écrit Bourbon de l’Oise. Mais la Montansier tient bon, elle veut ses sept millions ou la restitution de son théâtre. Après des polémiques sans fin, ce diable de femme obtint, en plusieurs fois, de très larges compensations et malgré ses réclamations continuelles, elle s’estima vengée. Elle fut interrogée le 11 frimaire et le 14 nivôse. On ne trouva rien à son domicile qui puisse la compromettre et finalement, après dix mois de détention arbitraire, elle fut libérée le 30 fructidor. Elle avait gagné, une fois de plus, une difficile partie. Sans doute son âge avait joué en sa faveur – elle avait alors soixante-quatre ans – mais surtout ses relations et ses amis. Elle gardait l’énergie de ses trente ans et une santé à toute épreuve.

Revenue dans ses foyers, elle reprit sa lutte et ses projets. Successivement, elle avait loué le Théâtre Olympique et la Salle Favart, mais sans succès. Son étoile semblait pâlir et en 1803 elle fut même mise en prison pour dettes. Le nouveau gouvernement ne lui était guère favorable et un décret de juin 1806 ordonne l’évacuation du Théâtre du Palais-Royal qui portait alors le nom de « Variétés ». Le but de ce décret visait à éloigner la troupe de la Montansier qui portait ombrage à celle, voisine, du Théâtre Français, dont la salle restait déserte tandis que les Variétés-Montansier jouissaient toujours d’une immense faveur.

Furieuse d’avoir à évacuer sa salle pour le 1er janvier 1807, la Montansier rassemble ses troupes et son énergie, part en campagne, finit par être reçue par l’Empereur lui-même et obtient de lui aide et protection : elle avait alors soixante-dix-sept ans. Forte de cet impérial appui, elle réunit la « Société des Cinq » qui dirige sa nombreuse troupe et propose la construction d’une nouvelle salle. En attendant l’achèvement des travaux les comédiens iront s’installer dans la Cité, au Théâtre du Prado.

Cinq mois plus tard, seulement, le 24 juin 1807, la troupe de la Montansier inaugurait le nouveau « Théâtre des Variétés », celui-là même qui se dresse à côté du passage des Panoramas, boulevard Montmartre.

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1807 : la fin de MADEMOISELLE  

Malgré son âge, « Mademoiselle » devait avoir encore beaucoup de forces et d’autorité. Les travaux de construction de son nouveau théâtre, dirigés par l’architecte Célerier, durèrent exactement cent soixante jours, pendant lesquels sans cesse elle eut l’oeil à tout, organisant tout, décidant tout. Devant elle, les pires difficultés s’aplanissaient et chacun sous ses ordres donnait le meilleur de lui-même.

L’inauguration, le 24 juin 1807, fut triomphale. La Montansier aurait pu drainer le public n’importe où. Ce soir-là, tout Paris était à nouveau au rendez-vous. On donna la première représentation d’un chef-d’oeuvre fragile, Le Panorama de Momus, vaudeville de Marc-Antoine Désaugiers. Les artistes obtinrent un immense sucès et le charmant théâtre retentit ce soir-là pour la première fois des applaudissements qui devaient se répéter des milliers de fois.

Il y avait alors à Paris vingt-sept salles de spectacles. L’Empereur jugeant qu’il y en avait beaucoup trop, faisant tort ainsi à la troupe officielle du Théâtre Français, décida d’en fermer les deux tiers. La vie des Variétés ne fut sauvée que grâce aux folles amours de l’Archichancelier d’Empire Cambacéres, duc de Parme, et de la ravissante actrice Mlle Cuisot pour laquelle il ressentait une passion extrême, manifestée chaque soir par de vibrants applaudissements.

On jouait alors des vaudevilles de Désaugiers, tels que Une heure de Folie, Taconnet chez Ramponneau, Les Bateliers du Niemen (1807), Monsieur et Madame Denis (1808), ou de Sewrin : Les Poètes sans soucis, Les Bourgeois Campagnards, Les Commères, Les Trois Etages, Habits, Vieux galons (1808), Le Petit Candice, L’Ecu de six francs, Misère et Gaité (1809), ou encore de Merle et Coster : Je cherche un dîner, de Merle et Ourry : Les Baladines, de Merle et Dessessarts : Monsieur Grégoire ou Courte et Bonne (1810), de Merle et Brazier : Le Ci-devant Jeune Homme (1812) où triomphait l’acteur Potier. Alors la troupe des Variétés créait environ vingt pièces par an et le même auteur en fournissait parfois cinq ou dix.

Mais les succès continuels des Variétés n’étaient pas du goût de tous et les menaces se firent si violentes que l’administration impériale une nouvelle fois en 1813 menaça de fermer la salle, sous prétexte que l’innocente féerie L’Ogresse ou la Belle au Bois Dormant blessait les bonnes mœurs. À nouveau il fallut toute la protection de Cambacères et celle de Regault de Saint-Jean d’Angely pour lever l’arrêt de mort prononcé par le duc de Rovigo, ministre de la Police. Pourtant, quelques mois plus tard, un autre scandale éclatait, qui réclama l’intervention de la police. Dans la pièce de Scribe et Dupin, Le Combat des Montagnes, les commis de magasin se virent railler dans la personne ridicule de M. Calicot et firent tout pour empêcher la suite des représentations. Plus tard encore, en 1818, le comte Angles, ministre d’Etat, s’émut des manifestations bruyantes et des rappels frénétiques des acteurs qui, chaque soir, retentissaient aux Variétés. Il exigea que l’on « interdise à un acteur redemandé de céder aux instances du public, préjudiciables à la tranquillité publique « . Il est vrai que les acteurs des Variétés affichaient un peu trop ostensiblement des opinions bonapartistes, ce qui déplaisait fort à Louis XVIII.

Pourtant, des pièces de l’époque, il reste peu de souvenirs. On a oublié Le Tribunal des Femmes (1814), de Dumersan, Le Bachelier de Salamanque (1815), La Jarretière de la mariée (1816), de Scribe, et cent autres vaudevilles qui firent les beaux soirs de l’époque.

Pendant ce temps, la Montansier goûtait une vieillesse heureuse. Tardivement, le 5 septembre 1799, elle avait épousé son cher De Neuville qui devait mourir quatre ans plus tard en 1803, mais ne souffrait pas de la solitude. Certains l’accusèrent d’avoir de séniles faiblesses pour le jeune et beau danseur italien acrobate Forioso qui se produisait au Palais-Royal, mais rien ne semble avoir troublé la paisible retraite qu’elle prit enfin, assurée du plein essort de son Théâtre des Variétés. Elle approchait de quatre-vingt-dix ans lorsqu’elle tomba malade. Elle s’éteignit le 13 juillet 1820, alors qu’aux Variétés on jouait Marie Jobard, de Scribe et Dupin.

Née sous Louis XV, elle mourait sous le règne de Louis XVIII après avoir connu trois rois, un empereur, une république, mais surtout le succès, la fortune, la célébrité, l’amitié des grands et de grandes amours. Elle avait rayonné pendant plus d’un demi-siècle sur le monde du théâtre, formant des centaines d’acteurs, encourageant les auteurs et les musiciens, les décorateurs et les peintres, laissant un souvenir où se mêlaient l’admiration et l’envie.

Anecdote :

Marie-Emmanuel Théaulon,  auteur original qui avait donné aux Variétés de nombreux vaudevilles et comédies, mérite de rester à la postérité. Il est à l’origine de l’expression « faire un four ». En effet, après avoir connu de nombreux succès, peut-être un peu lassé d’écrire, le pittoresque Théaulon inventa un procédé nouveau pour élever des poulets ! Il loua un hangar ( faubourg Saint-Honoré ! ), construisit un four d’incubation, y enfourna des centaines d’œufs de poule et le chauffa doucement en permanence pendant vingt et un jours. Malheureusement, lorsqu’au jour dit, il ouvrit sa couveuse, il ne récolta que des œufs durs… L’affaire fit le tour de tous les théâtres de Paris :

– Vous connaissez la nouvelle œuvre de Théaulon ? C’est un four !

Et l’expression resta vivante pour désigner un échec !

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