De nombreux médecins, non satisfaits de la situation décrite dans la première partie vont alors par leurs idées, leur pratique, leurs recherches et leurs découvertes, participer à la naissance d’une médecine moderne.
Trois d’entre eux vont en plus s’y distinguer par leur influence et leur implication dans la politique et auront un rôle majeur. Ce sont Fourcroy, Chaptal et Cabanis. D’ailleurs Napoléon ne s’y trompera pas ; ce seront les trois seuls médecins qu’il nommera Comtes d’Empire et à qui il décernera la Légion d’Honneur ; avec le grade de Commandeur pour Cabanis et Fourcroy, et la dignité de Grand officier pour Chaptal.
Antoine François Fourcroy (1755 – 1809)
Et La création des Ecoles de médecine.
Le plus influent sera Antoine François Fourcroy. C’est à lui que l’on doit la mise en forme de ce renouveau de l’enseignement médical. C’est grâce à la protection financière de Félix Vicq d’Azyr que Fourcroy peut passer sa thèse de médecine à Paris, mais sans régence.
Elu à la Convention, Fourcroy entre à la Commission d’Instruction Publique dont il devient président. Nommé secrétaire de la Convention, il propose de réformer l’Instruction Publique en remplaçant le latin par le français, en défendant la gratuité de l’enseignement pour tous, en prônant l’accession aux fonctions d’enseignants par concours, en souhaitant faire fusionner la médecine et la chirurgie, en militant pour la création de trois hôpitaux majeurs, et en suggérant la mise en place d’une école de santé consacrée aux militaires.
Alors que le 8 août 1793, la Convention avait voté la fermeture de toutes les académies, des facultés et de toutes les sociétés savantes, Fourcroy parvient, le 14 frimaire an III (4 décembre 1794), à faire voter une loi qui vise à instaurer trois écoles de santé : une à Paris, une à Montpellier et une à Strasbourg.
A Paris, l’installation de l’école de médecine se fait dans les anciens locaux de l’Académie de chirurgie. Le grand amphithéâtre, œuvre de l’architecte Gandois, peut accueillir 2000 personnes. Autour de l’amphithéâtre, de vastes pièces peuvent abriter la bibliothèque, les collections d’anatomie, l’instrumentation. D’autres salles permettent l’hospitalisation des cas médicaux les plus rares et les plus instructifs. Tout ce qui concerne l’enseignement pratique : salles de dissections, salles de démonstrations de chirurgie, salles d’expériences de physique et de chimie, seront établies dans le bâtiment voisin et désaffecté des Cordeliers. Cette école devait au départ accueillir 300 étudiants. Ils seront plus de 1000 à la rentrée du 22 septembre 1797.
A Montpellier, l’école est installée dans l’ancien évêché. Elle doit accueillir 150 étudiants.
A Strasbourg, l’école est établie dans le séminaire de la cathédrale. Elle doit accueillir également 150 étudiants.
Mettant en pratique son principe : « Peu lire, beaucoup voir et beaucoup faire », et voulant donner un rôle clé aux hôpitaux dans la formation de la nouvelle élite médicale, Fourcroy fait reposer cet enseignement « nouvelle formule » sur 4 principes :
- Fusion de la médecine et de la chirurgie lors d’un tronc commun d’études.
- Enseignement pratique visuel et manuel dispensé dans les seules cliniques hospitalières habilitées.
- Sélection des étudiants et des enseignants par concours.
- Valeur universelle du diplôme de médecin et de chirurgien.
Le programme d’enseignement comportera 9 cours de médecine fondamentale, et surtout, éléments nouveaux, 3 chaires de cliniques installées dans 3 grands hôpitaux parisiens. Fourcroy crée ainsi le premier enseignement hospitalo-universitaire.
Chaque cours et chaque clinique aura deux responsables qui assureront chacun l’enseignement pendant un semestre. La direction de l’école de Paris sera confiée à Thouret
Les 9 cours de médecine fondamentale seront :
- Chimie médicale et pharmacie confiées à : Fourcroy et Deyeux
- Anatomie et Physiologie confié à : Chaussier et Duméril.
- Médecine opératoire confiée à : Sabatier et Lallement.
- Médecine légale et Histoire confiés à : Sue.
- Histoire naturelle médicale confiée à : Jussieu et Richard.
- Physique médicale et Hygiène confiés à : Hallé et Desgenettes.
- Pathologie externe confiée à : Richerand et Percy.
- Pathologie interne confiée à : Pinel et Bourdier.
- Obstétrique confiée à : Alphonse Leroy et Baudelocque.
Les 3 chaires de cliniques seront :
- La Clinique interne (médecine) installée à l’hôpital de la Charité sous la responsabilité de : Corvisart et Leroux.
- La Clinique externe (chirurgie) installée à l’Hôtel-Dieu sous la responsabilité de : Pelletan et Boyer.
- La Clinique de perfectionnement installée dans l’hospice de l’Ecole elle-même, sous la responsabilité de : Antoine Dubois et Petit-Radel.
L’enseignement durera trois années, chacune d’elle divisée en deux semestres :
- 1ère année : « les commençants » étudieront :
- – au premier semestre : l’anatomie, la physiologie, la chimie médicale, la pharmacie.
- – au second semestre : la matière médicale, la physique médicale et l’hygiène, l’obstétrique, des exercices de bandages et d’appareillages.
- – Ils devront, au cours de cette première année, effectuer un stage de 4 mois à l’Hôtel-Dieu.
- 2e année : « les commencés » étudieront :
- – au premier semestre : l’anatomie, la physiologie, la chimie médicale, la médecine opératoire.
- – au second semestre : la matière médicale, les accouchements, des exercices de bandages et d’appareillages.
- – Ils devront au cours de cette seconde année, faire un stage de 4 mois à l’hôpital de la Charité avec fréquentation plus active que lors de la première année.
- 3e année : « les avancés » étudieront :
- – au premier semestre : l’anatomie, la chimie médicale, la médecine opératoire.
- – au second semestre : la matière médicale, la pathologie externe, la pathologie interne, les accouchements, la médecine légale et l’histoire de la médecine.
- – Ils devront, au cours de cette troisième année, effectuer un stage à l’hospice de l’Ecole pendant toute l’année et avec participation active à la marche du service.
- Lorsqu’un professeur initialement désigné pour tenir une chaire décède, le remplacement de ce dernier se fait par concours. C’est ce qui se produira pour remplacer Sabatier, puis Baudelocque. Ces concours seront publics et la lutte entre les candidats sera acharnée. Ils donneront lieu à de véritables spectacles auxquels assistera avec passion un très nombreux public.
Ces Ecoles de santé fourniront donc des docteurs en médecine et en chirurgie. Mais le nombre de ces docteurs sera nettement insuffisant pour répondre aux besoins importants des armées et de la population civile rurale.
C’est pourquoi seront également formés des « officiers de santé » dont la formation comportera quelques mois seulement d’enseignement théorique. Par contre, pour accéder à ce titre d’officier de santé, les candidats devront justifier de 4 années de pratique en hôpital ou de 5 années d’attaché à un docteur. Enfin, pour pouvoir exercer, ces officiers de santé devront satisfaire à 3 examens passés devant un jury départemental et ils ne pourront exercer que dans le département où ils auront été reçus.
L’existence de ces officiers de santé ne cessera qu’avec la loi du 30 novembre 1892 qui les supprimera. Sous le Consulat et l’Empire, ce premier ensemble de mesures sera progressivement complété. Initialement non sanctionnées, ces études voient réapparaître, dès le début du Consulat, les examens de fin d’année sanctionnant chaque année d’étude et en fin de formation, la soutenance d’une thèse. En complément fut créé le 7 août 1797, « l’Ecole Pratique » destinée aux étudiants les plus motivés. Ils seront 120 sélectionnés par concours parmi les élèves des trois années d’études.
En 1797 ces écoles seront intégrées à la faculté.
Toutes ces mesures seront finalement reprises dans la loi fondamentale du 19 ventôse an XI (10 mars 1803) qui réorganise la médecine, fixe les programmes et la durée des études et sanctionne la fin des études par des examens et la soutenance d’une thèse. C’est sur la base de ces réformes que vit encore, en grande partie, la médecine d’aujourd’hui.
De l’époque consulaire datent également :
- La création du concours de l’internat des hôpitaux.
- Les décrets sur la pharmacie.
- La répression de l’exercice illégal de la médecine.
Sous l’Empire, Napoléon missionnera encore Fourcroy en lui confiant en 1808 la création de l’Université impériale. Ce ne sera pas pour Fourcroy une tâche facile puisque l’Empereur, qui lui faisait confiance et reconnaissait ses talents, ne l’aimait pas. Il lui fera recommencer son texte législatif 23 fois avant de finalement l’accepter.
Jean-Antoine Chaptal (1756 – 1832)
Originaire du Languedoc, Jean-Antoine Chaptal fait ses études de médecine à Montpellier, passe sa thèse en 1776 et devient docteur en 1777. Aide anatomiste, il est convaincu que l’autopsie est un temps fondamental de la connaissance de la pathologie et que cette connaissance conditionne les progrès de la médecine. Mais, alors qu’il pratique l’autopsie d’un adolescent, celui-ci, lors de l’incision, ouvre les yeux, tourne la tête vers lui et porte la main à son cœur avant de mourir pour de bon. Particulièrement traumatisé par cet évènement, Chaptal renoncera à la pratique médicale.
Il se consacrera alors à la chimie, domaine dans lequel il excellera et va même laisser son nom au processus consistant à augmenter la teneur en alcool des vins par adjonction de sucre lors de la fermentation alcoolique : technique que l’on connait bien dans le Beaujolais sous le nom de « la chaptalisation ».
Chaptal s’intéressera cependant toujours à la médecine mais cette fois sous l’angle de la santé publique. Missionné en septembre 1794 pour réformer l’enseignement médical, c’est lui qui organisera en 1795 l’école de médecine de Montpellier.
Admis au Conseil d’Etat en 1799, il sera, sous le Consulat, Ministre de l’Intérieur de 1800 à 1804 et en profitera pour :
- Actualiser le mode de fonctionnement des professions médicales.
- Réformer les structures hospitalières.
- Faire la promotion de la vaccination contre la variole.
- Chercher à humaniser les conditions de vie dans les hôpitaux en rétablissant entre autre le service des religieuses.
En 1801, c’est lui qui conçoit les concours de l’externat (où sont admis les deux tiers des candidats) et de l’internat (où le taux de réussite sera de 60% la première année mais ne sera plus que de 10 à 15% les années suivantes).
En 1802, il créera une école de sages-femmes qui recevra de 1802 à 1814 1300 élèves et contribuera ainsi à une importante baisse de la mortalité infantile.
Pierre Jean Georges Cabanis (1757 – 1808)
Politique, philosophe et médecin, Pierre Jean Georges Cabanis passe sa thèse de médecine à Reims et devient docteur en 1784. Membre de la commission des hôpitaux, il est commissionné par le Directoire de Paris et publie plusieurs rapports dont : « L’observation sur les hôpitaux » en 1790 et « Quelques principes et quelques vues sur les secours publics » en 1792. Après le décret du 4 décembre 1794 et la réouverture des écoles de médecine, il est nommé professeur adjoint à la clinique de perfectionnement avant d’être, à partir de 1798, adjoint de Corvisart. Il publiera alors plusieurs textes visant à structurer et à réformer la médecine. En 1804, il publie « Coup d’œil sur les révolutions et la réforme de la médecine à Paris » dans lequel, en adepte de Corvisart, il prône l’examen du patient, l’anamnèse et l’observation des symptômes d’une maladie au chevet du malade. Dans une note sur l’agencement des hôpitaux, il préconise les petits hôpitaux aérés et ensoleillés. Visionnaire pour son temps, il évoque même la possibilité de l’hospitalisation à domicile.
Ces trois pionniers qui vont être à l’origine des textes législatifs qui vont organiser la médecine moderne ne sont pas seuls ; d’autres médecins vont également tenir un rôle important dans cette révolution dans l’art médical comme l’incontournable Corvisart, le génial Bichat, Guillotin ou les innovateurs comme Laënnec, Pinel, et Beaudelocque.